Interview Mathis RONDEL

 

 

Il s’était révélé dans les cols pyrénéens de la Ronde de l’Isard en 2022 sous les couleurs du VCP Loudéac et a franchi bien des paliers depuis avec la formation Tudor. Après avoir construit des bases solides au sein de l’équipe réserve, Mathys Rondel dispute actuellement sa première saison complète chez les grands au sein de la ProTeam helvète. À la fois sûr de sa force et conscient de ses limites actuelles, le Sarthois ne s’affole pas. Fidèle au discours qu’il avait déjà dans la catégorie Espoirs, il assure construire sur le long terme, à force de persévérance et de stabilité, persuadé qu’il pourra, à terme, jouer les premiers rôles sur les plus belles courses par étapes du calendrier WorldTour. DirectVelo avait profité de la présence du grimpeur sur les Boucles Drôme-Ardèche, début mars, pour lui rendre visite à l’hôtel, au nord de Valence. Histoire de faire un point complet sur une année qui s’annonce encore riche en enseignements pour un coureur qui est resté sur la touche quelques semaines entre-temps en raison d’un problème physique mais qui a finalement repris la compétition, ce mardi, au Tour des Abruzzes. Entretien.

DirectVelo : Dans la catégorie Espoirs, tu as toujours eu le même discours, celui d’une vision à long terme et d’un travail de préparation avant le début des choses sérieuses chez les grands. T’y voilà désormais !

Mathys Rondel : J’ai appris à courir correctement en U23, mais là c’est un autre monde, un autre vélo. Cette année, je vais pouvoir découvrir le haut niveau, courir avec les meilleurs coureurs au monde, dont certains sont mes coéquipiers. Il est temps de juger mon niveau par rapport aux autres, et voir ce qu’il me reste à travailler. Je reste encore sur une vision à moyen et long terme. Pour l’instant, je dois encore travailler, me tester, apprendre. C’est le mot-clef. C’est ce que je fais depuis le début de saison et pour l’instant, ça marche plutôt bien. Dans deux-trois ans, il faudra vraiment être compétitif au niveau mondial.

D’où ce contrat avec Tudor jusqu’à fin 2027 ?
C’était le but en signant sur plusieurs années, pour être tranquille et dans une structure qui croit en moi. Fin 2027, ça fera cinq années dans l’équipe. J’aime continuer dans un projet qui me correspond et c’est le cas ici. C’est intéressant.

« M’EMMENER PROGRESSIVEMENT VERS UNE PARTICIPATION À UN PREMIER GRAND TOUR »

Avec la multiplication des agents et des transferts, il est de plus en plus rare d’entendre ce genre de discours, de coureurs qui souhaitent rester longtemps dans une seule et même structure…
Sur le long terme, tu as le temps d’analyser une évolution, de récolter des données, de comprendre le coureur. C’est hyper important. Signer sur trois ans me laisse le temps de progresser. Avec un contrat de deux ans, tu es obligé de performer très vite. Je préfère faire les choses progressivement pour être, à terme, au top du top de mes capacités. Le but n’est pas d’être à mon meilleur dès cette année. Ce n’est de toute façon pas possible. Il faut faire ça intelligemment, avec un plan prédéfini.

Comment avez-vous construit ton calendrier pour cette première année avec la ProTeam ?

J’ai un programme qui n’est pas définitif jusqu’en juin, sachant qu’il y a toujours l’inconnu d’une participation au Tour de France pour l’équipe (entretien réalisé avant l’annonce de l’invitation de la structure helvète, NDLR). Pour l’instant, sur ces toutes premières courses, je suis donc en phase d’apprentissage et après, je disputerai surtout des courses par étapes où l’idée sera que je commence à jouer ma carte en montagne, en me testant sur le classement général, mais sans aucune pression. Si ça marche assez vite, tant mieux, sinon, ce n’est pas grave car j’ai encore le temps. On a prévu de bonnes phases de préparation avant chaque grosse course par étapes mais aussi des phases de récupération entre chacune d’entre elles.

Tu en avais déjà pris l’habitude chez les Espoirs, notamment dans la préparation du Tour d’Italie…

Oui, j’aurai plusieurs gros blocs comme je l’ai déjà fait par le passé, c’est parfait car j’aime bien fonctionner de cette façon. On veut enchaîner les courses d’une semaine pour s’y habituer, avec l’envie de m’emmener progressivement vers une participation à un premier Grand Tour, sans doute l’année prochaine. Je sais que dans un premier temps, je vais me faire taper dessus sur les courses ProSeries puis WorldTour mais j’espère quand même jouer un petit quelque chose quand ce sera possible, pour se donner confiance, mais toujours avec la conscience qu’il reste beaucoup à travailler. Quand tu prends cher, tu redescends vite sur Terre.

« AVOIR LES CURSEURS À FOND PARTOUT »

Peux-tu nous parler de ton entourage dans l’équipe. Qui t’entraîne et comment travailles-tu ?  

Je devais initialement faire deux saisons complètes dans la Conti avant de rejoindre la ProTeam mais en ayant fait le saut en cours de saison 2024, j’étais vite passé avec Sébastien Deckert, qui a déjà entraîné de grands coureurs de courses par étapes et qui est très bon avec les jeunes coureurs. Je bosse avec lui depuis un an et tout se passe bien. Maintenant que je suis passé dans la ProTeam, on travaille forcément plus en volume, avec plus d’intensité. Physiquement, je suis meilleur que les années précédentes, ce qui est logique. On travaille aussi sur le matériel, la position… On va bosser un peu plus sur le vélo de chrono prochainement, toujours avec cette idée de performer sur les classements généraux. Il faut avoir les curseurs à fond partout : le plat, la montagne, les chronos. Le but est d’être très bon dans chaque domaine. Je veux m’améliorer sur un large panel de possibilités et de capacités, en y allant pas à pas car on ne peut pas tout bosser en même temps, avec l’idée d’être performant dans un, deux, trois ans.

Tes dernières sorties chez les Espoirs n’avaient pas été forcément réjouissantes, que ce soit avec les Bleus au Tour de l’Avenir ou avec les grands sur les semi-Classiques italiennes. L’hiver t’a-t-il semblé long ? Avais-tu hâte de reprendre la compétition pour passer à autre chose ?

La première partie de saison avait été correcte voire bonne, la seconde très mauvaise. Sur le coup, je ne savais pas trop d’où ça venait mais on a fini par le comprendre. On a fait quelques erreurs mais c’est du passé. De toute façon, la dévo, c’est aussi fait pour commettre des erreurs et apprendre de tout ça. J’avais déjà signé dans la ProTeam, ce n’était pas un gros problème.

Tu as toujours pris beaucoup de recul sur tes résultats jusqu’à présent, comme si ça ne comptait pas vraiment et que seuls tes performances chez les pros allaient véritablement avoir de la valeur à tes yeux…

Je n’ai jamais voulu passer pro juste pour dire de passer pro. Je veux faire partie des meilleurs au monde. Pour cela, il faut d’abord passer quelques étapes. Je suis quand même impatient, au fond de moi, mais je sais qu’il faut attendre, franchir des étapes. Le temps doit jouer en ma faveur, à force de persévérance et de régularité. Il faut prendre son mal en patience en sachant que ça va finir par payer. J’ai bien vu que les efforts consentis il y a deux ans ont payé l’an passé ou en ce début d’année. Alors le travail de cet hiver ou des dernières semaines, il faut se dire qu’il paiera plus tard, et pas demain ni la semaine prochaine. Forcément, il faut donc savoir se projeter dans deux, trois ans.

« LE COL D’ASPIN, JE L’AI BIEN USÉ »

Avec, tout de même, la volonté de cocher des cases en compétition au fur et à mesure pour se rassurer ?

C’est mieux, idéalement, mais l’avantage de notre sport, c’est qu’il y a tellement de données qu’il est facile d’avoir des réponses. Dès la fin d’un entraînement, avec le compteur, tu peux voir si tu t’es amélioré ou pas. Et c’est à peine imagé. Dans d’autres sports, il y a beaucoup moins de repères, alors c’est plus au feeling, au résultat. Je sais donc où j’en suis.

Pour mettre toutes les chances de ton côté, tu as quitté la Sarthe pour t’installer dans les Hautes-Pyrénées !

C’est vrai que j’étais vraiment limité avant alors que désormais, je vis près de Saint-Lary-Soulan, dans les Vallées d’Aure et du Louron et je monte régulièrement un ou deux cols par jour à l’entraînement. J’aime bien avoir ces blocs de travail à la maison, sans compétition, d’autant que je profite d’une météo qui est franchement meilleure que ce que j’espérais en déménageant dans le coin. Ce n’est pas Calpe non plus, mais il n’y a pas 20 degrés de différence. Je peux travailler correctement. Si je dois partir à Gérone ou en Andorre, ce n’est pas très loin. Même pour le stage de pré-saison, j’y suis allé en voiture, même s’il y avait quand même sept heures de route, mais ça se fait.

Quels sont les cols que tu avales le plus dans les Pyrénées, toi qui t’étais révélé fin 2022 sur une Ronde de l’Isard ?

Le Col d’Aspin, je l’ai bien usé (sourire). Peyresourde aussi, je le vois pas mal. Il y a cinq-sept cols que je fais régulièrement mais j’essaie de varier et de découvrir un maximum de nouvelles routes. Il y a de belles ressources dans le coin. Tout est réuni pour bien travailler.

« J’ESPÈRE ÊTRE AU DÉPART DU DAUPHINÉ »

Le Tour d’Oman, que tu as terminé à la 17e place, était un premier test grandeur nature, face à des garçons comme Adam Yates ou David Gaudu. En étais-tu satisfait ?

Non, pas trop, parce que je pense que je n’ai pas trop bien réagi à la chaleur, il n’y avait pas un gros décalage horaire mais j’avais un peu de fatigue là-bas, sûrement à cause de cette chaleur. J’ai fait un Top 10 sur une étape (9e à Yitti Hills, NDLR) mais sinon, ce n’était pas satisfaisant du tout. Mais on est encore en train de chercher des ajustements et ce sera le cas tout au long de la saison.

Mis à part les Boucles Drôme-Ardèche, on ne te verra pas beaucoup courir en France…

J’espère être au départ du Dauphiné. Ce n’est pas encore une certitude mais c’est une volonté de ma part et une vraie option, normalement j’y serai. C’est le format idéal avec un beau chrono et des arrivées au sommet. Si je peux aller jouer un Top 5 ou même un Top 3 un jour, suivant la concurrence car face à des mecs comme Tadej Pogacar, ce n’est pas la même…

Es-tu focalisé à 100% sur les courses par étapes, ou imagines-tu briller à terme sur certaines courses d’un jour malgré tout ?

Les courses dans les Ardennes me plaisent. J’avais fait Liège-Bastogne-Liège en U23 et j’avais bien aimé. Je pense aussi à quelques courses italiennes comme le Tour de Lombardie. Même certaines Flandriennes, avec des pavés, j’aimerais bien les découvrir aussi, au moins pour l’expérience. Ce ne sont pas les courses sur lesquelles je serai le plus performant, c’est sûr, mais ça peut m’apporter pas mal de choses, notamment sur le placement. Là aussi, c’est un aspect important pour être performant sur les courses par étapes. Il ne faut rien laisser de côté.

 

Interview Direct Vélo